Le I-Chuan est actuellement très en vogue tant auprès des pratiquants d’arts martiaux que des personnes intéressés par les pratiques thérapeutiques chinoises. De nombreux articles, livres et cassettes Vidéos traitant du I-Chuan sont maintenant disponibles.
Cependant, la terminologie utilisée reste extrêmement vague et les explications données sur les bases de la pratique très peu précises.
Le I-Chuan est actuellement très en vogue tant auprès des pratiquants d’arts martiaux que des personnes intéressés par les pratiques thérapeutiques chinoises. De nombreux articles, livres et cassettes Vidéos traitant du I-Chuan sont maintenant disponibles.
Cependant, la terminologie utilisée reste extrêmement vague et les explications données sur les bases de la pratique très peu précises.
I-Chuan ou Da-Cheng-Chuan ?
Un exemple concernant la terminologie : les querelles entre les partisans du terme » I-Chuan » et ceux partisans du terme » Da-Cheng-Chuan » sont en en réalité sans objet. En effet, Maître Wang Xian Zhai (1890-1963) le fondateur du I-Chuan (à ne pas confondre avec Xin I-Chuan beaucoup plus ancien) à l’âge de 50 ans avait effectué plus de mille combats et avait acquis ainsi une grande notoriété. On lui donna alors le surnom de » Main de Pays « . Un de ses amis, initié de boxe chinoise donna à son art le nom de Da-Cheng-Chuan (le Grand accomplissement de l’Essence de la boxe). Maître Wang Xian Zhai fut tout d’abord gêné de porter ce nom, mais il finit par l’accepter en considérant qu’il devait faire tout ce qu’il pouvait pour l’assumer. D’ailleurs à la fin de sa vie, Maître Wang Xian Zhai a appelé cet art tout simplement Chuan-Sué (science de la boxe chinoise). Nous y reviendrons.
Un de ses premiers élèves Maître Yao Zong Xun, après sa mort, a redonné à son art le nom de I-Chuan, car il pensait que seul Maître Wang Xian Zhai pouvait assumer ce nom. D’autres initiés ont voulu garder le nom de Da-Cheng-Chuan comme un devoir à remplir vis-à-vis de leur maître.
Ces deux attitudes, empreintes d’humilité et de respect peuvent parfaitement se comprendre comme les deux aspects d’une même tâche : droit et devoir. Il n’est donc pas très utile de se quereller pour cela.
Maître Yao Zong Xun . (1917-1985)
Quelle liberté, quelle spontanéité ?
Sur les bases de la pratique, on indique souvent que la caractéristique du I-Chuan est l’absence de formes et de règles préétablies et qu’ainsi on travaille la spontanéité et la liberté. C’est une façon de voir très limitée car elle peut engendrer une pratique très désordonnée, sans réflexion aucune et sans recherche théorique. Or le I-Chuan est exactement l’inverse de cela.
Ainsi pour acquérir cette liberté, Maître Wang Xian Zhai lui-même a eu comme seule pratique une posture (le Zhan Zhuang) pendant huit ans pour entrer dans un moule et éduquer son un corps. Les règles à respecter, le travail à effectuer n’ont rien à voir avec l’aspect extérieur visible d’une posture immobile. En effet cette immobilité extérieure est le produit d’une grande activité intérieure : on ne bouge pas car toutes les parties du corps travaillent dans toutes les directions à la fois. La résultante de tout ce travail est l’immobilité mais elle n’a pas grand chose à voir avec le repos. On peut même parler de maximum de mouvement dans cette posture.
De la même manière, Mao-tong (la posture du bouclier et de la lance) est une posture très difficile à tenir pour un débutant car le corps n’est pas préparé. A nouveau, l’apparente immobilité est le résultat de poussées dans toutes les directions. Pour réussir cela on doit utiliser des images mais qui ne doivent pas être statiques, car ni la forme ni l’image ne doivent devenir des habitudes. Voilà déjà un premier travail de I (l’intention, en anglais mind sans doute plus précis que le mot français pour exprimer cette notion). Le système nerveux est extrêmement sollicité et cela d’une façon très inhabituelle puisqu’il doit produire une tension dans toutes les directions à la fois. Or dans la vie courante, on travaille le plus souvent dans une seule direction ; il faut donc faire travailler les muscles opposés (ceux qui poussent et ceux qui tirent par exemple) en même temps mais pas de façon contradictoire. C’est une première application d’une façon de penser dialectique et non dualiste.
Les Pièges :
On peut avec ces indications tomber dans de nombreux pièges. Ainsi, on peut interpréter l’expression » travail dans toutes les directions » par contraction musculaire intense. Il n’en est rien car cette position et ce travail doit se faire avec le corps détendu. Si la forme est respectée, si le corps est entré dans le moule, le travail justement est de se détendre dans une position qui est tout sauf confortable. L’idée de détente est différente de l’idée de mollesse. L’image que l’on doit utiliser pour obtenir une posture correcte détendue et sans contraction est celle d’une compression et non celle de contraction.
Autre confusion à éviter : détendu ne veut pas dire passif. Il faut en effet être très actif dans la pratique de ces postures. C’est bien différent d’une attente passive, il s’agit de science pas d’incantation.
C’est également différent d’une pratique masochiste consistant à résister à la douleur liée à la pratique des postures sans savoir ce qu’il faut travailler.
Le travail de la main est très important :
Une main d’initié de I-Chuan est très particulière et ne s’acquiert qu’après de nombreuses années de pratique. La main doit tenir » quelque chose » mais ici encore ce n’est pas de contraction musculaire qu’il s’agit mais d’une technique qui va permettre de déplacer toute la force du corps dans la main. En effet, un des objectifs du travail de posture est de préparer le corps à ce déménagement de force. Habituellement, 80% de la force est dans l’épaule, 20% dans la main ; la technique du I-Chuan va permettre d’inverser ces proportions.
Le déplacement de force et le dégagement de force :
Le travail de shili (ou test de force) doit intervenir lorsque le corps a été bien préparé par Zhan Zhuang puisqu’il consiste à déplacer la force à l’intérieur du corps. L’apparence de ce mouvement ne rend pas compte du véritable travail interne que nécessite cet exercice. Il s’agit de vérifier que toute les parties du corps bougent de façon coordonnée, synchronisée, que l’on est capable de bouger le corps sans qu’une partie reste immobile. Cette façon de déplacer la force est très complexe car la notion de » pas d’arrêt » n’est pas simple à mettre en œuvre ; on peut dire que l’arrêt est un tabou en I-Chuan, et aussi que l’arrêt c’est la mort dans un combat. Cette notion est donc très importante. L’arrêt produit de l’inertie et donc la nécessité de produire une force qui combat cette inertie. Si on arrive à bouger sans produire cette inertie, on évite d’avoir à la combattre en perdant de l’énergie.
C’est seulement en bougeant de cette façon que l’on déplace l’axe du corps et ainsi on peut commencer de travailler la notion d’esquive. Celle-ci est également très importante car il est préférable d’imaginer que l’adversaire attaque avec une arme blanche et qu’il faut donc absolument éviter qu’il vous touche car si un corps peut encaisser un coup de poing, il lui est plus difficile de résister à un coup de couteau.
Après avoir réussi à déplacer la force, on peut alors la faire sortir. C’est la notion de » fa-li « . Pour mieux comprendre cette explosion, on peut donner comme image celle d’une force comprimée qui trouve un point de fuite et par ce point toute l’énergie accumulée s’échappe. On ne peut donc produire cette explosion sans avoir compris dans son corps les notions de concentration d’énergie, de déplacement de force, d’énergie centripète et centrifuge. Le hasard ne va pas là encore trouver beaucoup de place sauf peut-être si c’est le démon de Maxwell….
La marche du I-Chuan :
Après avoir réussi à produire cette » explosion « , on peut alors véritablement se déplacer et pratiquer la marche du I-Chuan. Il s’agit de travailler les mêmes notions que précédemment mais cette fois en se déplaçant. On ajoute ainsi au travail de l’axe du corps la notion d’axe du mouvement. Il faut que le mouvement se déroule de telle façon qu’il permettre de conserver la possibilité d’explosion et de liberté de mouvement dans la marche. On doit donc éviter de produire de l’inertie et de perdre de l’énergie en appuyant sur le sol. En effet, si on appuie sur le sol, une partie de l’énergie, du poids du corps part dans le sol. Cette énergie n’est donc plus disponible là où elle serait nécessaire. C’est pourquoi Maître Wang Xian Zhai donnait l’image d’une marche, la nuit, sur une mince couche de glace qui s’est formée sur le fleuve jaune. Le moindre appui, le moindre arrêt dans le déplacement du poids provoque un grave danger. Toute marche qui ne respecte pas cette règle n’est pas la marche du I-Chuan
Ainsi, après avoir étudié la notion d’inertie dans shili, il s’agit maintenant de comprendre et d’utiliser une autre force universelle : la gravitation. Ici, au lieu de combattre cette force, il faut l’utiliser pour réaliser la marche. Techniquement, il s’agit d’arriver à effacer son poids, ses appuis sur le sol tout en se déplaçant. Comme pour toute recherche scientifique, on ne peut obtenir cela en quelques temps.
De quelle patience a-t-on besoin ?
Lorsqu’on a un peu compris la difficulté du I-Chuan, certains déclarent qu’il faut être patient. Certes mais de quelle patience s’agit-il ? Suffit-il de faire Zhan Zhuang pendant mille heures pour acquérir » la force explosive » ? Hélas (ou plutôt heureusement) non. Il faut entrevoir ce que l’on cherche en pratiquant ces postures et les travailler dans le cadre défini par Maître Wang Xian Zhai et transmis par ses premiers élèves.
Il est donc vain d’essayer de brûler des étapes et de vouloir utiliser quelques éléments pour les mettre à la sauce de son propre sport de combat. Il faut du temps pour préparer son corps, son énergie et son esprit. Quel intérêt à vouloir immédiatement appliquer ce travail en combat ? Ce sont alors ses habitudes qui sortent, or il est nécessaire de changer ses habitudes de mouvement et également sa façon de penser.
On ne peut s’approprier en quelques mois ou en quelques voyages le savoir de toute une vie consacrée à une recherche. Même en Chine, la première génération d’élèves de Maître Wang Xian Zhai s’inquiète de voir l’impatience de la nouvelle génération et ses exigences de résultats immédiats. Le I-Chuan ne peut se travailler dans ce cadre.
Un autre aspect de cette patience est de savoir s’arrêter dans son entraînement lorsqu’il peut se révéler nuisible pour la santé. Ainsi, lors du travail de posture, il est nécessaire de s’arrêter lorsque la douleur (qui doit rester supportable) se transforme en sensation agréable. C’est en effet la marque d’une production d’endomorphine par le corps qui lui est nuisible à terme. C’est aussi la preuve de la nécessité d’être vigilant dans ce type d’entraînement, de savoir s’auto-analyser et de bien connaître les problèmes que l’on peut rencontrer.
Exemple d’un stage de Da Cheng Chuan :
I) Les différentes méthodes de Zhan Zhuang
Introduction
Les principes de la posture de l’arbre
Méthodes basiques du I-Chuan – Postures de l’arbre
Les méthodes pour pratiquer l’apparente immobilité
Les méthodes pour pratiquer les mouvements dans les postures
II) Le Sheuli
Introduction
Les principes de Shili
Méthodes de Shili
Les formes
Relation entre Sheuli et travail de l’intention
III) Les marches du I-Chuan
Principes
Présentation des différentes marches du I-Chuan
IV) Le Tue Sho
Les principes
Le travail des différentes parties du corps dans Tue Sho
Différents niveaux de Tue Sho
Méthode spéciale du Tue Sho du Da-Cheng-Chuan
Pourquoi » Science de la boxe » ?
Le travail de postures, la recherche de l’explosion nécessitent une étude poussée avec une pratique intensive. Il faut parvenir à penser différemment, à surmonter les ordres contradictoires que l’on doit envoyer au système musculaire.
De la même manière, il faut saisir la distinction entre la pensée et l’intention. Si on pense dans un combat, c’est trop tard. L’entraînement doit nous permettre d’utiliser l’intention beaucoup plus rapide mais bien plus difficile à développer. Il s’agit d’un autre schéma de fonctionnement du système nerveux qui permet de déclencher d’une autre manière le système musculaire, c’est pourquoi on peut parler de deuxième système musculaire que l’on doit s’efforcer de développer. C’est seulement de cette manière que l’on pourra réaliser les différentes techniques de base comme Maître Wang Xian Zhai l’a indiqué.
Il faut comprendre ce que sont la gravitation et l’inertie de façon très concrète. C’est impossible avec une pensée uniquement analytique basée sur le dualisme. Il faut avoir assimilé la notion de dialectique à la fois mentalement et physiquement . C’est pour cela que Maître Wang Xian Zhai a insisté sur la nécessité de prendre le temps de pratiquer et d’étudier car sans ces deux aspects on ne peut aboutir dans sa recherche. C’est cela le sens profond du nom choisi par Maître Wang Xian Zhai à la fin de sa vie » Science de la boxe « .
On a déjà mentionné les notions de force, d’inertie, de gravitation, mais il faut également comprendre la relation espace-temps pour acquérir la vraie vitesse, celle qui rend le mouvement invisible pour l’adversaire même si pour un observateur extérieur l’impression est différente. Ainsi des mouvements de grande ampleur faits avec une forte dépense d’énergie peuvent impressionner un observateur, mais ils sont visibles par l’adversaire et donc lents. Au contraire un mouvement très court d’un corps » équilibré » (au sens du I-Chuan) est invisible pour l’adversaire donc très rapide même s’il n’est pas spectaculaire.
Pour le travail de l’explosion, il faut synchroniser toute son énergie donc toutes les vibrations de son corps. Comment ne pas penser au rayon laser, la lumière synchronisée…
Quelques éléments en guise de conclusion :
Pratiquer le I-Chuan est bien une discipline scientifique qui nécessite connaissance et compréhension. Seules quelques personnes les possèdent grâce à l’enseignement de Maître Wang Xian Zhai. Encore faut-il bien comprendre leur enseignement , avoir la chance qu’elles veulent bien vous transmettre leur savoir et vérifier sa propre compréhension ; il faut en effet se méfier d’interprétation hâtive : combien de personnes ont cru que le Zhan Zhuang se pratiquait avec les mains vides et molles alors qu’il s’agit là d’une pratique thérapeutique pour des personnes malades …
L’initiation est longue. Peu de personnes dans les années récentes ont réussi à l’acquérir, car il faut trouver ceux qui savent, de la patience, beaucoup d’humilité et une démarche scientifique.

Maître Wang Xian Zhaï .(1890-1963)